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Par un de ces curieux renversements de l’histoire qui font d’une destinée d’homme un destin, voici qu’un exilé, mort en exil, retrouve sa terre natale. Depuis l’exposition de ses œuvres organisée en 1987 au musée des Beaux-Arts Pouchkine à Moscou, qui suscita une extraordinaire ferveur populaire, Marc Chagall naît une seconde fois.
Voici donc que ce peintre, peut-être le plus singulier du XXe siècle, rencontre enfin l’objet de sa quête intérieure : l’amour de « sa Russie ». Ainsi les dernières lignes de Ma vie, récit autobiographique que le peintre arrêtera en 1922, à son départ pour l’Occident - « et peut-être, l’Europe m’aimera, et, avec elle, ma Russie » - trouvent-elles leur accomplissement.
Chagall est né dans une famille juive de stricte obédience pour laquelle l’interdit de représentation de la figure humaine avait valeur de dogme. On a peine à imaginer la force transgressive, la fièvre, la férocité d’être qui entraînent le jeune Chagall quand il se rue sur la revue Niva pour y copier le portrait du compositeur Rubinstein, si on ignore la nature de toute éducation juive traditionnelle. D’abord religieuse, soumise à la loi historique de l’Election Divine, cette éducation ne se déploie d’ailleurs que dans la sphère du religieux.
La transmission, au sein même du foyer juif, se définit essentiellement par l’oralité. Chaque maison juive est le lieu sanctifié d’une liturgie de la parole. La famille de Chagall est de tradition hassidique ; il convient de souligner, que cette forme de piété - Hassid veut dire pieux - privilégie le rapport direct avec Dieu. Le dialogue qui s’instaure entre le fidèle et Javeh, sans la médiation de l’appareil rabbinique, naît directement du rituel quotidien et se déploie dans l’exercice de la liberté individuelle. Le Hassidisme échappe à la culture talmudique savante, au commentaire institutionnel de la synagogue. Il fut historiquement le propre des communautés rurales russes et polonaises, repliées sur la famille, groupe originel fondamental pour la société juive. Le père de Chagall, Zakhar, était ouvrier saumurier chez un marchand de harengs.
Sensible, secret, taciturne, la personne du père intégrait à l’évidence la dimension tragique inhérente au destin du peuple juif. « Tout me semblait énigme et tristesse dans mon père. Image inaccessible » écrit Chagall dans Ma vie. La mère, Feiga-Ita, fille aînée du boucher Liozno, rayonnait au contraire d’énergie vitale.
L’antithèse psychologique des personnes se retrouve dès les premiers dessins de Chagall, et s’observe dans la série d’eaux-fortes réalisées par le peintre pour Paul Cassirer, à Berlin, en 1923, et précisément destinées à l’illustration de Ma vie.
Père et mère mettent à l’œuvre, dans la peinture de Chagall, non seulement le vécu spécifique de la mémoire, mais aussi les deux aspects contradictoires du génie juif et de son histoire avec une énergie porteuse d’espérance, dans le sentiment inébranlable de l’élection divine. Marc a un frère et sept sœurs : David dont il fera d’émouvants portraits et qui meurt en pleine jeunesse, Anna (Aniouta), Zina, les jumelles Lisa et Mania, Rosa, Maroussia et Rachel, morte elle aussi, en bas-âge. Si l’existence familiale est difficile, elle n’est cependant pas misérable. Elle participe de la vie même du stedtl, cette réalité culturelle spécifique juive liée à la structure sociale du ghetto. A Vitebsk, cette réalité est insérée dans la structure paysanne russe.
A la fin du XIXe siècle, Vitebsk est encore une petite ville de Biélorussie située au confluent de deux fleuves, la Dvina et la Wistba. Ses activités économiques sont en pleine expansion. Mais, malgré l’arrivée du chemin de fer, la gare, les petites industries et le port fluvial, la ville garde encore les caractères d’une bourgade rurale. Chaque maison, témoin d’une unité économique fondée sur un système domestique traditionnel, possède son petit jardin et sa basse-cour. Avec leur barrière de bois, leur décor polychrome, les maisons de Vitebsk vivront éternellement dans les tableaux de Chagall.
C’est de ce vécu de l’enfance que procèdent les schèmes picturaux du vocabulaire plastique chagallien. Ils s’y enracinent et s’y alimentent comme une source perpétuellement renouvelée. Mais ces fragments de la mémoire repérables par leur statut d’objets plastiques dès les premières œuvres - la chambre, l’horloge, la lampe, le samovar, la table du sabbat, la rue du village, la maison natale et son toit, Vitebsk enfin reconnaissable aux coupoles de sa cathédrale - n’ont pu se définir en tant que schèmes figurés, qu’au terme d’un véritable processus de distanciation.
C’est donc en obéissant à sa vocation - « Maman, je voudrais être peintre 2 » -, c’est-à-dire en s’arrachant à son milieu familial et social que Chagall se donnera les moyens de son propre langage formel. Chagall parvient à convaincre sa mère de l’inscrire à l’école de dessin et de peinture du peintre Pen. Mais rapidement les lois de l’apprentissage, le laborieux exercice de la copie, laissent le jeune Chagall insatisfait. Ce qu’il recherche encore confusément, ce qu’il effleure par ses premières audaces de coloriste, ne relève pas de la tradition académique dispensée par Pen. Rebelle à tout enseignement, Chagall affirme dès 1907, par une précoce capacité d’invention - n’utilise-t-il pas, hors de toute règle, la couleur violette ? - le caractère autodidacte qui est la marque des créateurs.
Et ce destin ne se construit qu’en fonction d’épreuves dont la plus décisive reste l’arrachement au lieu natal, le départ. Chagall partira donc. En 1907, en compagnie de son ami Viktor Mekler, il quitte Vitebsk, qui deviendra une des principales figures symboliques de son œuvre, pour Saint-Pétersbourg.
Choisir la capitale revêt un sens particulier. Chagall se conforme tout d’abord, sans le savoir, à une tradition issue de la Renaissance, qui fait du voyage une des modalités principales de tout apprentissage. Si peindre est aussi un métier, la reconnaissance sociale de ce même statut, passe inévitablement par la formation académique. Saint-Pétersbourg est de surcroît la capitale intellectuelle et artistique de la Russie impériale.
Plus que la continentale Moscou, c’est une ville dont l’histoire propre se caractérise par une ouverture constante vers l’Europe occidentale. Elle dispense par son architecture, son urbanisme, ses écoles, ses salons, une nourriture formelle et spirituelle qui va enrichir le jeune provincial. Il vient y chercher l’excellence pétersbourgeoise. Son échec à l’examen d’entrée à l’école des Arts et Métiers du baron Stieglitz ne l’empêche pas d’intégrer plus tard celle fondée par la Société impériale d’encouragement des Beaux-Arts dirigée par Nicolas Roerich.
Nicolas Roerich (1874-1947) avait participé à la revue Mir Iskousstva (Le Monde de l’Art), fondée en 1898 par Alexandre Benois et animée jusqu’en 1904 par Serge Diaghilev. La revue et le groupe d’artistes qui y adhérait, joueront un rôle déterminant dans le débat esthétique général qui préoccupe la Russie au cours de la première décennie du XXe siècle. Son emblème, un aigle du nord dessiné par Bakst, synthétise formellement les finalités poursuivies : créer un art nouveau, original parce que puisant au patrimoine russe, mais ouvert à l’influence de l’Occident. Le Monde de l’Art préconisait une esthétique totalisatrice.
Comme Mir Iskousstva, La Toison d’Or, qui cessera de paraître en 1909, contribue à la vie artistique de l’époque. Elle fait connaître au grand public des individualités aussi diverses que celles de Benois, Bakst- dont la rencontre pour Chagall sera déterminante -, Roerich, Golovine, Doboujinski, Larionov, Gontcharova… La Toison d’Or appelle l’attention des artistes russes sur une création contemporaine et contribue, par conséquent, à la réflexion, décisive pour l’évolution de l’art, sur la notion de modernité. L’enseignement de Roerich, guère différent de celui de Pen, le déçoit. L’exercice scolaire de la copie lui paraît une perte de temps.
Ces deux ans lui permettent de rencontrer son premier mécène et collectionneur, l’avocat Goldberg, dont il représentera Le Salon et Le Cabinet de travail (1908), et son futur protecteur, l’influent député à la Douma, Max Vinaver.
Chagall fréquente les milieux intellectuels juifs actifs autour de Vinaver pour animer avec l’écrivain Pozner, le critique Sirkine et Leopold Sew, la revue juive, publiée en langue russe et intitulée Voskhod (Renouveau).
La présence de l’intelligentsia juive dans le débat majeur du temps est incontestable.
La prise de conscience d’une identité culturelle juive spécifique en cours d’élaboration n’excluait pas pour autant, bien au contraire, la volonté de se donner une nouvelle dimension d’universalité nationale et internationale. Vinaver et Sew vont ouvrir à Chagall les portes de la célèbre école Zvantseva. Cette école privée avait été fondée par une femme fortunée, peintre elle-même, Elizaveta Nikolaïevna Zvantseva, laquelle, après un séjour à Paris, avait décidé de créer un enseignement nouveau, susceptible d’apporter aux jeunes peintres russes les moyens techniques d’une expression résolument contemporaine qui leur faisaient défaut. A Saint-Pétersbourg, Elizaveta fait appel à ceux qui apparaissent comme les meilleurs artistes de l’époque, Mstislav Doboujinski et Léon Bakst. Bakst avait conquis une renommée internationale en collaborant avec Diaghilev. Portraitiste recherché, il est aussi décorateur, illustrateur et, surtout, créateur brillant de costumes et décors pour le théâtre et le ballet.
Ainsi travaille-t-il pour Diaghihev et ses étoiles, Fokine, Pavlova, Karsavina et Nijinsky. Grande est sa réputation. Chagall la connaît, en est profondément impressionné, même si Bakst, cet Européen, est comme lui, Chagall, un Juif.
Entrer à l’école Zvantseva, approcher Bakst sont vécus par Chagall comme un insigne privilège. Auprès des siens, il s’apprête à trouver cette autre réalité qu’il pressent, qu’il porte en lui et qu’il cherche à objectiver par les seuls moyens de la peinture. Dans la liberté de l’enseignement dispensé par Bakst, Chagall élabore peu à peu son langage, conquiert la maîtrise spatiale de la couleur et découvre progressivement un style. L’esthétique symboliste de Bakst, son maniérisme décoratif ne l’influencent pas.
En revanche, il fait rapidement sienne une des exigences du peintre qui était « l’art de juxtaposer des couleurs contrastées en équilibrant leur influence réciproque 3 ».
Chagall retourne souvent auprès des siens comme pour mieux fixer les images intérieures qui constitueront son vocabulaire plastique ; il peint frère et sœurs, parents, scènes d’une vie quotidienne où s’affine sa vision personnelle. Il peint Vitebsk, ses rues et ses maisons de bois, Vitebsk, lieu de l’enfance, plus tard, figure emblématique de la terre natale.
A l’automne 1909, par l’intermédiaire d’une amie commune, Théa Brachman qui posait pour lui, Chagall rencontre sa future femme, Bella Rosenfeld.
Inoubliable rencontre, doublement relatée par ceux qui en furent les héros :
« Brusquement je sens que ce n’est pas avec Théa que je dois être, mais avec elle !
Son silence est le mien. Ses yeux, les miens, c’est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir ; comme si elle veillait sur moi, me devinant du plus près, bien que je la voie pour la première fois. Je sentis que c’était elle ma femme 4 », raconte Chagall dans Ma vie.
Et dans Lumières allumées, Bella répond : « Je n’ose lever les yeux et affronter le regard du garçon. Ses yeux sont maintenant vert-gris, ciel et eau. Est-ce dans ses yeux ou dans le fleuve que je nage 5 … »
Ma Fiancée aux gants noirs (p.9)(1909) témoigne du bouleversement éprouvé. L’œuvre est la première d’une longue série de portraits de Bella et accompagne les portraits familiaux de David, de Mania, d’Aniouta, mais s’en différencie par son caractère de solennité grave. Ma Fiancée aux gants noirs et, plus tard, Bella au col blanc (p.59) sont bien des portraits réalisés par l’observation aiguë de la vérité physique et psychologique du modèle. Mais ce dernier ne reste pas prisonnier de sa propre individualité.
Image de la femme aimée, image de l’amour qu’elle suscite, Bella acquiert la dimension universelle du type. Le tableau est une icône. Sa fonction n’est pas représentative, mais monstrative. Elle signifie.
Dès 1909, Chagall pressent le débat majeur lié au statut même de la peinture, que sa pratique lui fait éprouver. Mode de représentation du visible, la peinture ne serait-elle donc que ce redoublement illusionniste de la matérialité du monde ? Ne serait-elle pas, au contraire, le mode privilégié d’exploration d’un au-delà des apparences qui en fondrait la réalité perceptible ? Ne serait-elle pas, comme la poésie, un des modes de révélation de l’être ?
Dans l’Autoportrait (p.6)(1909), un regard attentif décèlera bon nombre de qualités qui forment à un moment précis le système artistique de Marc Chagall. Ce sont à la fois l’apparence « volante » du personnage, comme prêt à perdre sa propre pesanteur et à évoluer dans l’air ; le lent et jubilant chatoiement des bleus « chagalliens », intenses sur le vêtement, adoucis dans le ciel représenté sur la toile - ne vient-elle pas justement de là cette sensation d’apesanteur, d’élévation ? - et délavés dans les yeux infiniment tristes et à peine éclairés d’une lueur malicieuse : c’est enfin la mélancolie poignante d’un calme sourire, les touches rose doré du fond et le sentiment voilé de la fête qui recèle toujours la vie si l’on sait l’y apercevoir. N’oublions pas, toutefois, que la « fête perpétuelle » de Chagall est en union indéfectible - antinomique - avec la perpétuelle douleur, souvent dissimulée au spectateur dans la lumière éclatante de ses toiles jubilatoires. Les circonstances historiques du départ de Chagall pour Paris sont aujourd’hui bien connues. L’avocat Vinaver, son protecteur et premier mécène, lui accorde une bourse en échange d’une toile, La Noce (p.12), et d’un dessin.
Le montant de la bourse, 125 francs, doit permettre au jeune homme un séjour de quatre ans à l’étranger. En homme de culture humaniste, Vinaver souhaitait que Chagall parte pour Rome. Mais Chagall opte pour Paris. Le rayonnement artistique de la capitale française est incontestable et Chagall ne s’y trompe pas. Paris sera son « second Vitebsk ». Isolé dans la petite chambre de l’impasse du Maine, Chagall retrouve ensuite à la Ruche de nombreux compatriotes attirés, eux aussi, par le prestige de Paris. Lipchitz, Zadkine, Archipenko, Soutine qui maintiendront, autour du jeune peintre, le parfum de sa terre natale. Dès son arrivée, Chagall veut « tout découvrir ». Et de fait, à ses yeux éblouis, la peinture se révèle. D’abord celle des musées. Au Louvre, il découvre Chardin, Fouquet, Rembrandt. « C’était comme si des dieux s’étaient tenus devant moi. » 6 Peinture rêvée à Vitebsk ou à Saint-Pétersbourg, peinture d’éternité où se lit l’éternité de la peinture. Puis celle, plus proche, que Chagall pressentait, celle d’un Courbet, d’un Manet, d’un Monet, ces premiers révolutionnaires du regard. Paris a apporté à l’art de Chagall à la fois un thème nouveau et de nouvelles idées plastiques. L’artiste, au-delà de la peinture, découvrait des hommes. Les talents affluaient vers lui, sentant en lui un frère en esprit. Il se lia ainsi d’amitié avec Guillaume Apollinaire, Max Jacob et Blaise Cendrars. Apollinaire sera le premier à mentionner Chagall dans la presse. C’était en 1911, alors que Chagall exposait au Salon des Indépendants. Les vers ciselés d’Apollinaire - les calligrammes - furent pour le peintre une école de clarté et de hardiesse créative ; il y apprit la logique audacieuse de la pensée du XXe siècle. Cela se refléta dans le célèbre Hommage à Apollinaire (1911-1913) où les personnages masculins et féminins, formant un ensemble unique, sont à la fois scindés et unis par le Temps. Toute la dimension historique, toute la dimension esthétique et culturelle de l’histoire même de la peinture se dévoilent à Chagall. Cet apprentissage décisif du regard se double de quelques exercices d’atelier à la Grande Chaumière et à la Palette où officiait Le Fauconnier dont l’épouse était russe. Mais la véritable nourriture formelle de Chagall sera, selon ses propres déclarations, Paris lui-même, Paris et cette extraordinaire « Lumière-Liberté » par laquelle il s’accomplira comme peintre. De cette première période parisienne éclosent les grands chefs-d’œuvre : A la Russie, aux ânes et aux autres (p.21)(1911-1912), Moi et le village (p.18)(1911), Le saint Voiturier (1911-1912), Hommage à Apollinaire (p.20)(1911-1912), Autoportrait aux sept doigts (p.16)(1912-1913). C’est aujourd’hui seulement que l’on peut se représenter pleinement ce qu’était peindre dans un Paris saturé d’art, moderne comme classique, de controverses sur ses destinées, dans un Paris déjà lassé des manifestes artistiques et rassasié de raffinement et d’épate, dans un Paris qui avait déjà goûté au cubisme agressif, au colorisme fougueux des Fauves, aux Saisons russes de Diaghilev et aux premières expériences du constructivisme.
Les auteurs des premières études sur Chagall relevaient déjà que Paris avait influencé sa manière picturale, avait apporté une nervosité frêle et une netteté aux lignes qui répondent avec assurance et justesse à la couleur et pour beaucoup, la commandent. Les taches de couleur, ayant alors acquis des contours concrets et donc un autre registre d’expression, se défont de l’à-peu-près et s’emplissent d’une puissance nouvelle et inquiétante. De ce fait, la palette de Chagall a acquis une certaine délicatesse sans rien perdre de son caractère primordial, les structures émotionnelles et sémantiques ont gagné en richesse et en unité interne, les leçons de Paris transparaissent avec évidence au travers d’une fantaisie ardente que rien ne vient troubler. Il suffit de comparer La Naissance (p.19)(1910) à La Naissance d’un enfant (1911). A la différence du tableau peint à Vitebsk, la toile parisienne vit dans un seul registre, qu’il s’agisse du sujet, de l’espace, du genre ; on n’y trouve pas cette difficile conjugaison d’éternité arrêtée et de scène de genre ou en tout cas, elle y est à peine discernable. Il est remarquable de voir à quel point, de tableau en tableau, les objets peints par Chagall s’emplissent d’une signification autre, métaphorique, tout en conservant d’une manière touchante leur vérité quotidienne. La frénésie de peindre qui anime Chagall justifie les termes que, plus tard, André Breton emploiera pour la qualifier : « La totale explosion lyrique date de 1911. C’est de cet instant que la métaphore, avec lui seul, marque son entrée triomphale dans la peinture moderne », écrit le poète dans Genèse et perspective artistiques du surréalisme en 1941.7
Explosion lyrique totale, en effet, que cette fulgurance picturale qui trouve l’immédiateté de son expression propre. Comment ne pas s’étonner du miracle de la peinture chagallienne entre 1911 et 1914 ? Comment ne pas s’émerveiller de la cohérence obstinée d’un projet créateur qui, à la rencontre du fauvisme et du cubisme, en retient la leçon pour mieux s’en libérer ?
Que la couleur en ses excès soit porteuse des valeurs du sensible, Chagall intuitivement le sait déjà. Encore fallait-il la hisser à son point extrême de rayonnement, en user comme d’une sonorité rare. Le peintre doit aux Fauves, à Van Gogh, à Gauguin, à Matisse, vus chez Bernheim, la rencontre avec l’absolu de la couleur. Il doit à Cézanne et aux cubistes la géométrique ossature de ses tableaux entre 1911 et 1914, et les éléments de sa grammaire plastique.
Mais sa singularité résiste à tous les enfermements théoriques. « Qu’ils mangent leurs poires carrées sur leurs tables triangulaires ! 8 » s’écrie-t-il avec véhémence, en parlant des peintres cubistes. En véritable créateur, Chagall n’emprunte au cubisme que ce qui sert sa vision personnelle. La peinture, pour ce rebelle de l’art, est d’abord un envol de l’imaginaire.
Le répertoire thématique des œuvres réalisées entre 1911 et 1914 reste, à cet égard, significatif. Les sujets russes se mêlent à ceux du ghetto, les figures familiales à celles de la communauté villageoise : La Noce (p.12)(1910), Le Sabbat (p.10)(1910), Le Grand-père (1910), Autour de la lampe (1910), La Naissance (1911), déjà traitée en 1910, Le Père (p.36) (1910-1911), Le Village sous la lune (1911), Dédié à ma fiancée (p.11)(1911), Le Juif en prière (p.66)(1912-1913), Le Marchand de bestiaux (p.27)(1912), Maternité (p.32)(ou La Femme enceinte) (1913), Russie (1912-1913) égrènent la nostalgie de la terre natale et disent la douleur de l’exilé. Le moment est venu de parler de ce qui, nous semble-t-il, constitue l’œuvre centrale de Chagall dans la période qui a suivi le retour de Paris : Le Miroir (p.52)(1915).
« Singulière chose qu’un miroir : un cadre comme un tableau ordinaire et pourtant on peut y voir des centaines de tableaux différents, tous très vivants et qui disparaissent instantanément pour toujours » écrivait Chesterton.
Un Marc Chagall qui scrutait si attentivement les notions primordiales de l’existence, Temps et Espace, pouvait-il éviter ce motif ? Le miroir qui écarte les limites du monde, qui est capable de l’ébranler et de le modifier ; le miroir qui crée le « double » et qui, comme toute image, entre en controverse avec le temps ; le miroir dans lequel peut, soudain, en un raccourci inattendu, surgir - effrayant et joyeux - le monde familier, attire, enthousiasme et inquiète Chagall. Le Miroir voit se produire la rencontre, d’une part, des anciennes impressions de Vitebsk et des leçons de Paris, non oubliées, mais à nouveau vécues jusqu’au déchirement et, d’autre part, les mêmes éternels problèmes : l’essence du temps et de l’espace, les rapports du petit et du grand. Il s’y maintient également une perception enfantine inaltérée de la joie et du chagrin à travers le prisme du mythe, sublimement rituel et naïf tout à la fois.
Dans ce tableau, tout est quotidiennement objectif et en même temps fantastique. C’est que tout est fait de la substance de l’art ; en d’autres termes, le spectateur ne voit pas une imitation d’objets ni leur illusion, mais leur formule plastique dotée d’une âme et aiguisée jusqu’à une « simplicité inouïe » (Boris Pasternak). La peinture se donne alors tout entière dans la tension créatrice née d’une absence, d’un paradis perdu.
La peinture est cet obstiné effort de reconstruction d’un monde que l’on arrache à l’oubli, que l’on arrache aux sables du temps, d’un monde affranchi des lois de la pesanteur...
Le processus de mise en œuvre plastique du souvenir peut se lire dans un tableau comme Le Marchand de bestiaux (p.27) dont Chagall a réalisé deux versions (1912 et 1922).
Comme ses compatriotes Mikhaïl Larionov et Nathalia Gontcharova, il se rattache à la tradition byzantine qui a toujours privilégié le sens et non la représentation.
L’extrême allongement des figures, le refus de la perspective, la plasticité de l’espace intérieur, la frontalité souvent observée, l’usage parfois de fonds rouges, comme dans l’école de Novgorod, sont les éléments objectifs reconnaissables du système représentatif chagallien. Certes, la syntaxe cubiste permet au peintre la mise en structure spatiale de l’expérience intérieure dans la multiplicité de ses différents registres. Mais l’intentionnalité du tableau fait ressortir une culture spiritualiste et symbolique, particulière à la Russie, terre mystique par excellence. Chez Chagall, c’est le don de clairvoyance de l’enfant qui croit à la vérité de l’invisible plus qu’à la réalité quotidienne, don uni à une compassion pour le monde si immense qu’elle lui permet de distinguer jusqu’à la souffrance des êtres.
Chagall ne faisait pas partie de ces artistes dont l’œuvre se fondait sur un principe intellectuel conscient, sur la volonté de poser et de résoudre - fût-ce par des moyens purement esthétiques - une problématique qui se présentait comme une vue de l’esprit. Il n’était pas non plus captif du monde invisible comme l’étaient les impressionnistes. Sa philosophie est intuitive, ses « archétypes » d’hommes et de situations sont, dès l’origine, propres à sa mémoire génétique et non acquis. Cependant, en homme qui ressentait vivement son époque, Chagall partageait cette attention aiguë à l’égard du passé et de l’avenir, dans la mesure où ce qui lui importait avant tout dans ce monde -amour, mort, souffrance et joie - a toujours existé. En fait, c’est la même apparence de rébus pour l’homme déshabitué de la synthèse naturelle entre le visible, le connu, l’invisible et l’imaginaire, d’une synthèse dans laquelle existent librement et harmonieusement le conte, le mythe, la représentation que l’enfant se fait du monde qui est en lui et autour de lui.
Cette affirmation d’une consubstantialité de l’homme et du monde est intuitivement perçue par Chagall, quand il écrit dans Ma Vie : « L’art me semble être surtout un état d’âme. L’âme de tous est sainte, de tous les bipèdes sur tous les points de la terre. 9 » Et plus tard, en 1958, Chagall ajoutera dans un discours prononcé à l’université de Chicago : « La vie est évidemment un miracle. Nous sommes les parties de cette vie et nous passons, avec l’âge, d’une forme à l’autre forme de la vie [...] Jamais un homme ne pourra, techniquement ou mécaniquement, apprendre tous les secrets de la vie. Mais par son âme, il est lié avec le monde, en harmonie avec lui, même inconsciemment peut-être. 10 » Nous ne sommes pas loin de la notion de “Stimmung”.
Le second aspect par lequel Chagall se rattache aux courants dominants en œuvre dans la Russie contemporaine, tient à son admiration pour Gauguin et à sa propre recherche d’une couleur qui se donne dans sa totalité, d’une couleur pure, originelle, d’une couleur qui rayonne, d’une couleur porteuse d’énergie, magique.
La fin de 1914 et l’année 1915 voient dans son art se définir et exister parallèlement en interaction complexe trois tendances puissantes.
C’est en premier lieu cette même vie quotidienne de Vitebsk, parée d’une mélancolie songeuse un peu plus lyrique que naguère et représentée avec un écho parfois à peine perceptible, parfois tout à fait évident de l’attrait de l’art français pour le coloris.
C’est ensuite une aspiration clairement affirmée à la métaphore poétique et philosophique en tant que forme d’appréhension des aspects les plus dramatiques de l’existence, où se fait nettement jour l’élaboration des concepts fondamentaux de son art : Temps et Espace.
C’est enfin un principe symboliste affirmé qui trouve sa réalisation dans toute une série de tableaux que sous-tend une angoisse aux multiples significations et qu’unit un système de formes parfaitement défini.
Il se révèle que c’est précisément après son retour de Paris, après avoir repris contact, de manière assez ténue encore, avec la culture russe que l’artiste découvre alors ce qu’il avait accumulé au cours des années passées à l’étranger. Il devient évident que sa perception était encore plus riche et plus complexe que les œuvres peintes à Paris ne pouvaient le suggérer.
La Révolution va apporter au peintre l’espérance d’une dignité nouvelle et la possibilité de son accomplissement en tant qu’artiste. Chagall, à la déclaration de guerre, a regagné Vitebsk. Il retrouve sa terre natale, sa famille et son épouse Bella.
Une fille, Ida, naît bientôt. La plénitude de ce bonheur personnel s’accroît donc de la promesse d’un bonheur collectif et de l’obtention d’une citoyenneté à part entière.
Chagall croit avec ferveur en la Révolution.
Il a connu Anatole Vassilievitch Lounatcharsky à Paris. Ce dernier devient Commissaire aux Affaires Culturelles dans le premier gouvernement soviétique de 1917 et va s’employer à mettre en œuvre le vaste projet culturel de Lénine pour la Russie, qui n’est pas sans rappeler l’idéologie des Ambulants à la fin du XIXe siècle.
Lounatcharsky propose à Chagall le Commissariat aux Beaux-Arts de la région de Vitebsk et Chagall accepte avec enthousiasme. L’art, comme principe d’épanouissement de la personne et mode de promotion sociale, trouve en Chagall son plus actif représentant. Infatigable, le peintre met en place des structures d’enseignement, de musée, d’école d’art, d’atelier révolutionnaire, nécessaires à cette révolution de l’âme qu’il cherche à accomplir en chacun de ses compatriotes.
Il fait appel à Doboujinski, son ancien maître de l’école Zvantseva, à Pen, à Ivan Pougny et à El Lissitzky.
Pour le premier anniversaire de la révolution d’octobre, il fait « descendre l’art dans la rue », et transforme le décor urbain de Vitebsk avec un sens de la mise en scène qu’il exprimera plus tard dans ses travaux pour le théâtre et surtout le ballet.
Cette période, pour exaltante qu’elle soit, sera marquée par le conflit avec Malévitch.
Peu de témoignages rendent compte de cet affrontement. Chagall l’évoque, d’une façon elliptique, dans Ma Vie. Mais à l’examen du parcours esthétique de chacun des deux peintres, l’antagonisme était inévitable.
Quand Malévitch est invité par les élèves de l’école d’Art de Vitebsk – Chagall précise d’ailleurs que ce fut une de ses initiatives -, Malévitch est un artiste connu qui a formulé l’essentiel de sa doctrine suprématiste. Le début de l’année voit l’organisation de la Xe Exposition d’Etat « Création non objective et suprématisme » où Malévitch expose Carré blanc.
Malévitch attaque violemment Chagall dans ses principes d’enseignement et la nature de son art qu’il taxe avec mépris de naturalisme. Le tempérament de Malévitch, excessif et parfois violent, s’oppose à celui de Chagall.
Y a-t-il eu également en Malevitch cette méfiance instinctive du Polonais catholique qu’il fut à l’origine, vis-à-vis du Juif slave ? Chagall, à son tour rebelle à toute théorisation de l’art, ne comprend pas l’engagement esthétique de Malévitch. A la fin de l’année 1919, Chagall est contraint de quitter Vitebsk qui voit la création par Malévitch du groupe UNOVIS (Affirmation de nouvelles formes de l’art).
L’avant-garde chasse donc Chagall au nom d’une conception radicaliste. La déception se fait blessure profonde.
En 1922, il est contraint à l’exil, comme si sa destinée d’artiste ne pouvait se construire que dans la douloureuse épreuve d’une destinée d’homme arrachée à sa terre. La vie de Chagall, désormais, s’incarne en un destin de peintre, vivant la peinture comme une création toujours recommencée dans la certitude de son être.
L’observateur le plus attentif, le plus passionné, se révèle parfois incapable de distinguer le Chagall « de Paris » du Chagall « de Vitebsk ».
L’artiste n’est pas contradictoire ni « dédoublé », mais il demeurait constamment divers, regardant en lui et autour de lui, considérant le monde environnant, les idées de son époque, les souvenirs du passé.
Il était doté d’une pensée poétique absolue qui présupposait pareille multiplicité. Au fond, Chagall approche la sage naïveté de la dramaturgie shakespearienne où les héros passent tout naturellement de la prose aux vers.
Au même moment - quand ce n’est pas sur la même toile - il crée, d’un côté, un monde sublimement métaphorique et, de l’autre, des tableaux gentiment caustiques de la vie à Vitebsk en se défiant absolument des systèmes et des manifestes et sans s’affilier à aucun groupe quel qu’il soit.
Chagall est doué d’une sorte d’« immunité stylistique », il s’enrichit sans rien détruire de sa propre structure. Il s’enthousiasme, apprend en toute ingénuité, se défait de la maladresse juvénile, mais sans perdre son « point d’Archimède ». Parfois, c’est comme s’il regardait le monde à travers le prisme magique de l’école de Paris.
Alors il engage un jeu tout en finesse et en sérieux avec les découvertes du tournant du siècle, alors le regard sapientiel de l’adolescent biblique se considère, ironique et songeur, dans un miroir où s’unissent tout naturellement et sans aucun éclectisme les acquis picturaux de Cézanne, la spiritualisation fragile de Modigliani, les rythmes complexes des plans qui rappellent les expériences des premiers cubistes (Autoportrait devant le chevalet, 1914). Etait-ce probation consciente par les leçons des autres pour, les saisissant tout en restant soi-même, se connaître ?
Cependant, au-delà des analyses qui, aujourd’hui, éclairent les sources judéo-russes du peintre, les filiations formelles héritées ou empruntées, mais toujours sublimées, une part de mystère demeure dans l’art de Chagall. Ce mystère tient peut-être à la nature même de cet art qui puise au vécu du souvenir. La peinture est vie, en vérité, et la vie peut être peinture.
L’art est pour lui tout aussi réel qu’un visage humain ou que le ciel vu de la fenêtre et c’est pourquoi même les réminiscences de la peinture de ses grands prédécesseurs n’apparaissent pas ici comme un écho, mais comme une mélodie autonome qui s’intègre organiquement au monde des objets qu’il représente. L’art de Chagall s’inscrit dans le flux de la temporalité, dans le déploiement d’une rêverie créatrice imposant à la conscience l’effort de son devenir.
Chagall est l’un des premiers dans l’art de notre siècle à appréhender et à représenter ce qu’il est convenu d’appeler « iconosphère » comme partie intégrante de la nature, tout aussi perceptible pour l’artiste que le monde matériel et objectal.
Il perçoit l’iconosphère réelle du temps et, sans la fuir, son tableau a l’immédiateté du conteur capable de se couper la parole et de s’effrayer de son propre récit ou d’en rire.
Il n’est pas sans signification que la peinture chagallienne appelle sous la plume du critique ou de l’historien les termes du langage musical. Figures et motifs perçus comme autant d’objets sonores, couleurs comme rythmes et lignes comme mélodies, la métaphore s’accorde intimement à la peinture parce qu’elle relève, comme cette dernière, de la durée.
Translation - Spanish El periodo ruso.
Por obra de uno de esos curiosos vuelcos que da la historia y que reconducen el destino de un hombre, he aquí que un exiliado, muerto en el exilio, se vuelve a encontrar con su tierra natal. Tras la exposición de sus obras organizada en 1987 en el museo Pouchkin de Bellas Artes de Moscú, que suscito un extraordinario fervor popular, Marc Chagall nace por segunda vez.
De este modo el pintor, probablemente el más singular del siglo XX, encuentra por fin el objeto de su búsqueda interior: el amor de “su Rusia”. Así acaban por cumplirse las últimas líneas de “Mi vida”, relato autobiográfico que el pintor detuvo en 1922 al partir hacia Occidente (“y a lo mejor, Europa me amará y, con ella, mi Rusia”).
Chagall nació en una familia judía de estricta obediencia para la cual la prohibición de representar figuras humanas tenía un valor de dogma. Cuesta trabajo imaginar la fuerza transgresora, la fiebre, el feroz impulso que arrastran al joven Chagall cuando se abalanza sobre la revista Niva para copiar de ella el retrato del compositor Rubinstein, si ignoramos la naturaleza de cualquier educación judía tradicional. En primer lugar religiosa, sometida a la ley histórica de la Elección Divina, esta educación no se despliega de hecho sino en la esfera de lo religioso. La transmisión, en el mismo seno del hogar judío, se define esencialmente por la oralidad. Cada casa judía es un lugar santificado por una liturgia de la palabra. La familia Chagall es de tradición hassídica; conviene subrayar que esta forma de piedad –Hassid significa piadoso- privilegia la relación directa con Dios. El diálogo que se instaura entre el fiel y Javeh, sin la mediación del aparato rabínico, nace directamente del ritual cotidiano y se esparce a través del ejercicio de la libertad individual. El hassidismo rehuye la cultura talmúdica erudita y el comentario institucional de la sinagoga. Históricamente fue propio de las comunidades rurales rusas y polacas, replegadas sobre la familia, grupo originario fundamental para la sociedad judía. El padre de Chagall, Zakhar, era un trabajador encargado de la salmuera en una tienda de arenques.
Sensible, secreto y taciturno, la figura del padre encarnaba la dimensión trágica inherente al destino del pueblo judío. “Todo en mi padre me parecía enigma y tristeza. Imagen inaccesible” escribe Chagall en “Mi vida”. La madre, Feiga-Ita, hija primogénita del carnicero Lionzo, desprendía, por el contrario, una gran energía vital.
La antítesis psicológica de los personajes se encuentra en Chagall desde sus primeros dibujos y se observa en la serie de aguafuertes realizados por el pintor para Paul Cassirer en Berlín, en 1923, y precisamente destinados a ilustrar “Mi vida”.
Padre y madre introducen en la obra, dentro de la pintura de Chagall, no sólo la vivencia específica de la memoria, sino también los dos aspectos contradictorios del genio judío y de su historia con una energía portadora de esperanza, dentro del sentimiento inquebrantable de la elección divina.
Marc tiene un hermano y siete hermanas: David, del que hará conmovedores retratos y que muere en plena juventud, Ana (Aniouta), Zina, las gemelas Lisa y Mania, Rosa, Maroussia y Raquel, muerta también a temprana edad. Aunque resulta difícil sacar adelante a la familia, su vida no cae en la miseria; participa incluso en la vida del stedtl, esa realidad cultural específica de los judíos ligada a la estructura social del gueto. En Vitebsk, esta realidad se inserta en la estructura campesina rusa.
A finales del siglo XIX, Vitebsk es todavía una pequeña ciudad de Bielorrusia situada en la confluencia de dos ríos, el Dvina y el Wistba. Sus actividades económicas están en plena expansión. No obstante, a pesar de la llegada del ferrocarril, la estación, la pequeña industria y el puerto, la ciudad conserva todavía las características de una pequeña ciudad rural. Cada casa, testigo de una unidad económica fundada sobre un sistema doméstico tradicional, posee su pequeño jardín y su pequeña granja. Con su cerca de madera y su decorado policromo, las casas de Vitebsk vivirán eternamente en los cuadros de Chagall.
De estas vivencias infantiles proceden los esquemas pictóricos del vocabulario plástico de Chagall; en ellas hallan sus raíces y se alimentan como una fuente que se renueva perpetuamente. Pero estos fragmentos de la memoria, localizables dado su estatuto de objetos plásticos desde las primeras obras –la habitación, el reloj, la lámpara, el samovar, la mesa del sabbath, la calle mayor, la casa natal y su techo, Vitebsk, en suma, reconocible por las cúpulas de su catedral- no se han podido definir como esquemas figurados hasta llegar al final de un verdadero proceso de distanciamiento.
Así pues, al seguir los designios de su vocación –“Mamá quiero ser pintor 2”-, es decir, al cortar con el medio familiar y social, Chagall encontrará el medio para hacerse con un lenguaje formal propio. Chagall consigue convencer a su madre para que lo inscriba en la escuela de dibujo y de pintura del pintor Pen. Sin embargo, las leyes del aprendizaje y el laborioso ejercicio de la copia dejan rápidamente insatisfecho al joven Chagall. Lo que él busca (todavía de modo confuso), lo que esboza en sus primeras audacias en tanto que colorista no guarda relación con la tradición académica que Pen ofrece. Reacio a cualquier enseñanza, desde 1907, Chagall, gracias a una precoz capacidad inventiva, constata el carácter autodidacta que es la marca de los creadores –¿acaso no utiliza el color violeta contraviniendo con ello todas las reglas?
Este destino no se construye sino en función de retos, de los que el más decisivo lo constituye el romper con su tierra natal, la partida. Chagall se irá; en 1907, junto a su amigo Viktor Mekler, abandona Vitebsk, que se convertirá en una de las principales figuras simbólicas de su obra, para dirigirse a San Petersburgo.
El haber elegido la capital conlleva un significado particular. En primer lugar y sin saberlo, Chagall se adscribe a una tradición nacida en el Renacimiento que hace del viaje una de las modalidades principales de cualquier aprendizaje. Si pintar es también un oficio, el reconocimiento social de ese estatuto pasa inevitablemente por la formación académica. San Petersburgo es además la capital intelectual y artística de la Rusia imperial. A diferencia de Moscú, ciudad continental, se trata de una ciudad cuya propia historia se caracteriza por una constante apertura hacia Europa occidental. Su arquitectura, su urbanismo, sus escuelas, sus salones, dispensan un alimento formal y espiritual que enriquecerá al joven provinciano. Viene a buscar la excelencia petersburguesa. Su fracaso en las pruebas de ingreso a la escuela de Artes y Oficios del barón Stieglitz no le impedirá ingresar más adelante en la escuela fundada por la Sociedad imperial de promoción de las Bellas Artes dirigida por Nicolas Roerich.
Nicolas Roerich (1874-1947) había participado en la revista Mir Iskousstva (El Mundo del Arte), fundada en 1898 por Alexander Benois y dirigida hasta 1904 por Serge Diaghilev. La revista y el grupo de artistas que se adhirieron a ella desempeñaron un papel determinante en el debate estético general que preocupaba a la Rusia de la primera década del siglo XX. Su emblema, un águila del norte dibujada por Bakst, sintetiza formalmente las finalidades que perseguían: crear un arte nuevo, original por estar sacado del patrimonio ruso, pero abierto a la influencia de Occidente. El Mundo del Arte preconizó una estética totalizadora. Al igual que Mir Iskousstva, El Vellocino de Oro, que dejó de publicarse en 1909, contribuyó a la vida artística de la época. Dio a conocer al gran público individualidades tan diversas como las de Venios, Bakst –cuyo encuentro con Chagall será determinante-, Roerich, Golovin, Doboujinski, Larionov, Gontcharova… El Vellocino de Oro llama la atención de los artistas rusos sobre una creación contemporánea y contribuye, por consiguiente, a la reflexión sobre la noción de modernidad, decisiva para la evolución del arte. Las enseñanzas de Roerich, en nada distintas a las de Pen, decepcionan a Chagall. El ejercicio escolar de la copia le parece una pérdida de tiempo.
Estos dos años le permiten trabar conocimiento con su primer mecenas y coleccionista, el abogado Goldberg, cuyo salón y gabinete de trabajo serán representados en los cuadros que llevan el mismo título (El salón y El gabinete de trabajo, 1908), así como con su futuro protector, el influyente diputado en la duma, Max Vinaver.
Chagall frecuenta los medios intelectuales judíos, activos en torno a Vinaver, para dirigir junto con el escritor Pozner, el crítico Sirkin y Leopold Sew la revista judía publicada en ruso bajo el nombre Voskhod (Renovación).
La presencia de la intelligentsia judía en los debates más importantes de la época es incontestable. La toma de conciencia de una identidad cultural judía específica, en vías de elaboración, no excluía sin embargo la voluntad de adquirir una nueva dimensión de universalidad, sino más bien al contrario. Vinaver y Sew abrirán a Chagall las puertas de la célebre escuela Zvantseva. Esta escuela privada había sido fundada por una mujer adinerada y pintora, Elizaveta Nikolaïevna Zvantseva, que tras una estancia en París había decidido crear una nueva enseñanza, susceptible de aportar a los jóvenes pintores rusos los medios técnicos que les resultaban necesarios para una expresión decididamente contemporánea. En San Petersburgo, Elizaveta recurre a quienes figuraban entre los mejores artistas de la época: Mstislav Doboujinski y Leon Bakst. Bakst había adquirido un renombre internacional al colaborar con Diaghilev. Era un retratista muy requerido, así como decorador, ilustrador y, sobre todo, creador brillante de trajes y decorados para el teatro y el ballet. Por ello trabajó para Diaghilev y sus estrellas, Fokine, Pavlova, Karsavina y Nijinsky. Tenía una gran reputación. Chagall la conocía y se veía profundamente impresionado, si bien Bakst, ese europeo, era, como él, un judío.
Entrar en la escuela Zvantseva, estar en contacto con Bakst son vivencias que Chagall toma como un insigne privilegio. Junto a los suyos se dispone a encontrar una realidad distinta que presiente, que lleva consigo y que trata de objetivar sólo mediante los medios pictóricos. Dentro de la libertad de las enseñanzas que Bakst dispensa, Chagall va elaborando poco a poco su lenguaje, conquista el dominio espacial del color y descubre progresivamente un estilo. La estética simbolista de Bakst y su manierismo decorativo no le influyen.
Por otro lado, interioriza rápidamente una de las exigencias del pintor que era “el arte de yuxtaponer colores contrastados equilibrando su influencia recíproca 3”. Chagall vuelve con frecuencia a ver a su familia, como si quisiera fijar mejor las imágenes interiores que constituirán su vocabulario plástico; pinta a su hermano y a sus hermanas, a sus padres, escenas de una vida cotidiana en la que va madurando su visión personal. Pinta Vitebsk, sus calles y sus casas de madera; Vitebsk, lugar de la infancia, y más tarde figura emblemática de su tierra natal.
En el otoño de 1909, por intermediación de un amiga común (Théa Brachman, que posaba para él), Chagall conoce a su futura esposa, Bella Rosenfeld. Encuentro inolvidable, cuyos héroes relataron por duplicado: “De repente siento que no es con Théa con quien debo estar, sino con ella. Su silencio es el mío. Sus ojos los míos, es como si ella me conociera desde hace mucho tiempo, como si lo supiera todo sobre mi infancia, sobre mi presente, mi futuro; como si cuidara de mi, como si me adivinara más cerca de pesar de ser la primera vez que nos veíamos. Sentí que ella era mi mujer 4”, cuenta Chagall en “Mi vida”.
Y en “Luces encendidas” Bella responde: “no me atrevo a levantar los ojos y sostener la mirada del joven. Sus ojos son ahora de un verde grisáceo, cielo y agua. Es en esos ojos o en el río donde estoy nadando... 5”
“Mi prometida con guantes negros” (1909) testimonia la agitación que sintió. Es la primera obra de una amplia serie de retratos de Bella y acompaña los retratos familiares de David, Mania, Aniouta, pero se diferencia de ellos por su carácter de grave solemnidad. “Mi prometida con guantes negros” y, más tarde, “Bella con el cuello blanco” son sin duda retratos realizados por medio de una observación aguda de la verdad física y psicológica del modelo. Sin embargo, éste no queda encerrado por su propia individualidad.
Imagen de la mujer amada, imagen del amor que inspira, Bella adquiere la dimensión universal del tipo. El cuadro es un icono. Su función no es representativa, sino mostrativa. Ella significa.
Desde 1909, Chagall presiente el principal debate en relación con el estatuto mismo de la pintura, que la práctica de este arte le hace sentir: Siendo un modo de representación de lo visible ¿no será la pintura entonces nada más que una repetición ilusionista de la materialidad del mundo? ¿No será, por el contrario, el modo privilegiado de exploración de un más allá de las apariencias que disolvería la realidad perceptible? ¿No será, al igual que la poesía, uno de los modos de revelación del ser?
En el “Autorretrato” (1909), una mirada atenta descubrirá un gran número de cualidades que forman en un momento preciso el sistema artístico de Marc Chagall. Se trata a un mismo tiempo de la apariencia “volante”del personaje, como dispuesto a perder su propia gravedad y a evolucionar en el aire; el lento y entusiasta relucir de los azules “chagallianos”, intensos en la ropa y suavizados en el cielo representado en el lienzo -¿no proviene precisamente de ahí esa sensación de ingravidez, de elevación?- y diluidos en los ojos infinitamente tristes y a penas iluminados por un resplandor malicioso: se trata en definitiva de la melancolía desgarradora de una sonrisa tranquila, las pinceladas de rosa dorado del fondo y el sentimiento velado de la fiesta que encubre siempre la vida si uno es capaz de percibirlo. En cualquier caso no olvidemos que la “fiesta perpetua” de Chagall está unida de modo indefectible –antinómico- con el dolor perpetuo, con frecuencia disimulado al espectador mediante la luz brillante de sus lienzos entusiastas. Las circunstancias históricas de la salida de Chagall hacia París nos son hoy bien conocidas. El abogado Vinaver, su protector y primer mecenas, le concede una beca a cambio de un lienzo, “La boda”, y de un dibujo.
La cuantía de la beca, 125 francos, debe permitir al joven una estancia de cuatro años en el extranjero. Como hombre de cultura humanista, Vinaver deseaba que Chagall partiera hacia Roma, pero Chagall opta por París. El esplendor artístico de la capital francesa es incontestable y Chagall no se equivoca. París será su “segundo Vitebsk”. Aislado en la pequeña habitación del callejón de Maine, Chagall conoce enseguida en la Colmena a numerosos compatriotas atraídos, ellos también, por el prestigio de París: Lipchitz, Zadkin, Archipenko, Soutin que mantendrán, alrededor del joven artista, el perfume de su tierra natal. Desde su llegada, Chagall quiere “descubrirlo todo”. Y, de hecho, la pintura se revela ante sus ojos deslumbrados. En primera instancia la de los museos. En el Louvre descubre a Chardin, Fouquet y Rembrandt. “Era como si unos dioses estuvieran de pie ante mi 6”. Pintura soñada en Vitebsk o en San Petersburgo, pintura eterna en la que se lee la eternidad de la pintura. Después aquella, más cercana, que Chagall presentía, la pintura de Courbet, Manet y Monet, aquellos primeros revolucionarios de la mirada. París aporta al arte de Chagall tanto una nueva temática como nuevas ideas plásticas. Más allá de la pintura, el artista descubría personas. Los talentos afluían a su lado al sentir que era un hermano de espíritu. Asimismo trabó amistad con Guillaume Apollinaire, Max Jacob y Blaise Cendrars. Apollinaire será el primero en mencionar a Chagall en la prensa. Corría el año 1911 cuando Chagall exponía en el Salón de los Independientes. Los pulidos versos de Apollinaire –los caligramas- supusieron para el pintor un modelo de claridad y de atrevimiento creativo; con ellos aprendió la lógica audaz del pensamiento del siglo XX. Esto se refleja en el célebre “Homenaje a Apollinaire” (1911-1912), en el que los personajes masculinos y femeninos, formando un conjunto único, están a la vez escindidos y unidos por el Tiempo. Chagall descubre toda la dimensión histórica, toda la dimensión estética y cultural de la propia historia de la pintura. Este decisivo aprendizaje de la mirada se ve aumentado por algunos ejercicios de taller en la Grande Chaumière (la gran choza) y en la Palette (la paleta), que dirigía Le Fauconnier, cuya esposa era rusa. No obstante, el verdadero alimento formal de Chagall será, según sus propias declaraciones, el propio París, París y esa extraordinaria “Luz-Libertad” que le hará realizarse como pintor. De este primer periodo parisino nacen las grandes obras maestras: “A Rusia, a los asnos y a los otros” (1911-1912), “Yo y la ciudad” (1911), “El santo ayuda de cámara” (1911-1912), “Homenaje a Apollinaire” (1911-1912), “Autorretrato con siete dedos” (1912-1913). Sólo actualmente hemos podido hacernos una idea de lo que significaba pintar en un París saturado de arte, tanto moderno como clásico, de controversias sobre su destino, en un París ya cansado de manifiestos artísticos y harto de refinamiento y fanfarronería, en un París que ya había degustado el cubismo agresivo, el colorismo fogoso de los fovistas, las Estaciones rusas de Diaghilev y las primeras experiencias del constructivismo.
Los autores de los primeros estudios sobre Chagall ponen ya de manifiesto que París había influido en su forma de pintar, había aportado un frágil nerviosismo y una claridad en las líneas que responden con firmeza y precisión al color y, con mucho, lo dirigen. Las manchas de color, al haber adquirido contornos concretos y, por lo tanto, otro registro de expresión, se deshacen de la aproximación y se llenan de una fuerza nueva e inquietante. A partir de aquí, la paleta de Chagall ha adquirido una cierta delicadeza sin perder un ápice de su carácter primordial, las estructuras emocionales y semánticas han ganado en riqueza y unidad interna, las lecciones de París se transparentan con evidencia a través de una fantasía ardiente que no se ve enturbiada por nada. No hay más que comparar “El nacimiento” (1910) con “El nacimiento de un niño” (1911). A diferencia del cuadro pintado en Vitebsk, el lienzo parisino vive en un solo registro, ya se trate del tema, del espacio o del género; no encontramos en él esa difícil conjugación de eternidad detenida y escena de género o, en todo caso, a penas es discernible. Llama la atención el ver hasta qué punto, de un cuadro a otro, los objetos de Chagall se llenan de una significación distinta, metafórica, conservando en cambio, de modo conmovedor, su verdad cotidiana. El frenesí por pintar que estimula a Chagall justifica los términos que, más adelante, André Breton empleó para calificarle: “La explosión lírica total data de 1911. A partir de ese instante la metáfora, gracias exclusivamente a él, marca su entrada triunfal en la pintura moderna”, escribe el poeta en “Génesis y perspectiva artísticas del surrealismo” en 1941. 7
Se trata, en efecto, de una explosión lírica total, de un fulgor pictórico que encuentra la inmediatez de su expresión propia. ¿Cómo no asombrarse ante el milagro de la pintura de Chagall entre 1911 y 1914? ¿Cómo no maravillarse de la obstinada coherencia de un proyecto creador que, al encuentro del fovismo y el futurismo, conserva de ellos la lección para liberarse con mayor facilidad? Chagall sabe ya, de modo intuitivo, que el color, en sus excesos, es portador de los valores del ámbito de lo sensible. Faltaba todavía izar el color hasta su punto extremo de resplandor, servirse de él como de una sonoridad extraña. El pintor debe a los fovistas, a Van Gogh, a Gauguin y a Matisse, vistos en casa de Bernheim, el encuentro con lo absoluto del color. Debe a Cézanne y a los cubistas la osamenta geométrica de sus cuadros entre 1911 y 1914, así como los elementos de su gramática plástica.
Sin embargo, su originalidad resiste cualquier tipo de enclaustramiento teórico. “¡Que coman ellos sus peras cuadradas en sus mesas triangulares! 8”, exclama con vehemencia al hablar de los pintores cubistas. Como el verdadero creador que es, Chagall sólo toma del cubismo lo que supone un aporte a su visión personal. La pintura, para este rebelde del arte, es en primera instancia un vuelo de lo imaginario.
El repertorio temático de las obras realizadas entre 1911 y 1914 resulta significativo a este respecto. Los temas rusos se mezclan con los del ghetto, las figuras familiares con las de la comunidad aldeana: “La boda” (1910), “El sabbath” (1910), “El abuelo” (1910), “Alrededor de la lámpara” (1910), “El nacimiento” (1911), ya tratado en 1910, “El padre” (1910-1911), “El pueblo bajo la luna” (1911), “Dedicado a mi prometida” (1911), “El judío rezando” (1912-1913), “El vendedor de animales” (1912), “Maternidad” (o “La mujer encinta”) (1913), “Rusia” (1912-1913), desgajan la nostalgia de la tierra natal y expresan el dolor del exilio. Ha llegado el momento de hablar de lo que, a nuestro parecer, constituye la obra central de Chagall en el periodo que siguió su regreso a París: “El espejo” (1915).
“Cosa curiosa un espejo: un marco como el de un cuadro corriente en el que, sin embargo, podemos ver centenas de cuadros distintos, todos muy vivos, que desparecen instantáneamente y para siempre” escribía Chesterton.
Marc Chagall, que escrutaba con tal atención las nociones primordiales de la existencia, Tiempo y Espacio, ¿podía haber rehuido este motivo? El espejo que desecha los límites del mundo, que es capaz de estremecerlo y modificarlo; el espejo que crea el “doble” y que, como toda imagen, entra en controversia con el tiempo; el espejo en el cual puede (de repente, por un atajo insospechado) surgir –espantoso y alegre- el mundo familiar, atrae a Chagall con entusiasmo e inquietud. “El espejo” hace que se encuentren de un lado las antiguas impresiones de Vitebsk y las lecciones de París (no olvidadas, pero vividas de nuevo hasta el desgarro), y del otro los mismos y eternos problemas: La esencia del tiempo y el espacio, las relaciones de lo pequeño y lo grande. En él se mantiene igualmente una percepción infantil inalterada de la alegría y la pena a través del prisma del mito, ritual y naïf a la vez de un modo sublime. En este cuadro todo es cotidianamente objetivo al tiempo que fantástico. Resulta que todo está hecho con la sustancia del arte; en otras palabras, el espectador no ve una imitación de objetos ni su ilusión, sino su fórmula plástica dotada de un alma y aguzada hasta una “simplicidad increíble” (Boris Pasternak). La pintura se da entonces en su plenitud, en la tensión creativa nacida de una ausencia, de un paraíso perdido.
La pintura es ese obstinado esfuerzo de reconstrucción de un mundo que arrancamos al olvido, que arrancamos a las arenas del tiempo, de un mundo liberado de las leyes de la gravedad...
El proceso de aplicación de métodos plásticos para plasmar el recuerdo puede leerse en un cuadro como “El vendedor de animales”, del que Chagall realizó dos versiones (1912 y 1922).
Al igual que sus compatriotas Mikhaïl Larionov y Nathalia Gontcharova, Chagall se vincula con la tradición bizantina que ha privilegiado siempre el sentido y no la representación.
El extremo alargamiento de las figuras, el rechazo de la perspectiva, la plasticidad del espacio interior, la frontalidad adoptada con frecuencia y el esporádico uso de fondos rojos, como en la escuela de Novgorod, son los elementos objetivos reconocibles del sistema representativo de Chagall. Desde luego, la sintaxis cubista permite al pintor la aplicación de una estructura espacial de la experiencia interior dentro de la multiplicidad de sus diferentes registros. No obstante, la intencionalidad del cuadro hace resurgir una cultura espiritualista y simbólica, propia de Rusia, tierra mística por excelencia. En Chagall se da el don de la clarividencia del niño que cree en la verdad de lo invisible más que en la realidad cotidiana, don unido a una compasión por el mundo tan inmensa que le permite distinguir incluso el sufrimiento de los seres.
Chagall no formaba parte de esos artistas cuya obra se fundaba sobre un principio intelectual consciente, sobre la voluntad de plantear y resolver –aunque fuera por medios puramente estéticos- una problemática que se presentaba como una vista del espíritu. Tampoco se veía preso por el mundo invisible como lo estaban los impresionistas. Su filosofía es intuitiva, sus “arquetipos” de hombres y situaciones son, desde el origen, propios de su memoria genética y no adquiridos. Sin embargo, en tanto que hombre que sentía vivamente su época, Chagall compartía esa atención aguda en relación con el pasado y el futuro, en la medida en que lo que más le importaba en este mundo –amor, muerte, sufrimiento y dicha- ha existido siempre. De hecho, se trata de la misma apariencia jeroglífica para el hombre deshabituado a la síntesis natural entre lo visible, lo conocido, lo invisible y lo imaginario, a una síntesis en la que existen libre y armoniosamente el cuento, el mito y la representación que el niño se hace del mundo que está en él y a su alrededor.
Esta afirmación de una consubstancialidad del hombre y del mundo es percibida intuitivamente por Chagall cuando escribe en “Mi vida”: “Me parece que el arte es, sobre todo, un estado del alma. El alma de todos es santa, de todos los bípedos en cualquier punto de la tierra. 9” Y más tarde, en 1958, Chagall añadirá en un discurso pronunciado en la universidad de Chicago: “La vida es evidentemente un milagro. Somos las partes de esa vida y pasamos, con la edad, de una forma a otra de la vida [...] Un hombre nunca podrá, técnica o mecánicamente, aprender todos los secretos de la vida. Pero por medio de su alma, está unido al mundo, en armonía con él, puede que incluso de modo inconsciente. 10” No estamos lejos de la noción de “Stimmung”.
El segundo aspecto por el que Chagall se adscribe a las corrientes dominantes en lo que respecta a la obra de la Rusia contemporánea, tiene que ver con su admiración por Gauguin y su propia búsqueda de un color que se dé en su totalidad, de un color puro, original, de un color que resplandezca, portador de energía, mágico.
Tres poderosas tendencias se definen y existen de modo paralelo, interactuando entre ellas, en su arte a finales de 1914 y en 1915.
En primer lugar la propia vida cotidiana de Vitebsk, ataviada de una melancolía pensativa un poco más lírica que anteriormente y representada con un eco a veces a penas perceptible, otras evidenciando del todo la atracción del arte francés por el colorido. A continuación una aspiración claramente afirmada por la metáfora poética y filosófica en tanto que forma de aprehensión de los aspectos más dramáticos de la existencia, en la que se hace clara la elaboración de los conceptos fundamentales de su arte: Tiempo y Espacio. Por último un principio simbolista establecido que encuentra su realización en toda una serie de cuadros que constituye el fundamento de una angustia de significaciones múltiples y que une un sistema de formas perfectamente definido.
Será precisamente después de su regreso de París, tras haber retomado el contacto, todavía de modo bastante tenue, con la cultura rusa, cuando el artista descubre lo que había acumulado a lo largo de los años pasados en el extranjero. Se hace evidente que su percepción era aún más rica y compleja de lo que las obras pintadas en París podían sugerir. La revolución aportará al pintor la esperanza de una dignidad nueva y la posibilidad de realizarse como artista. En el momento en que se declara la guerra, Chagall ha regresado a Vitebsk. Se reencuentra con su tierra natal, con su familia y su esposa Bella.
Pronto nacerá su hija Ida. La plenitud de la felicidad personal se ve acrecentada por lo tanto por la promesa de una felicidad colectiva y la obtención de una ciudadanía de pleno derecho. Chagall cree con fervor en la Revolución.
Conoció a Anatole Vassilievitch Lounatcharsky en París, el cual se convirtió en Comisario de Cultura del primer gobierno soviético de 1917 y se dedicará a fondo a poner en marcha el vasto proyecto cultural de Lenin para Rusia, que no deja de recordar la ideología de los Ambulantes de finales del siglo XIX.
Lounatcharsky propone a Chagall la comisaría de las Bellas Artes de la región de Vitebsk y el pintor acepta con entusiasmo. El arte como principio de desarrollo de la persona y forma de promoción social encuentra en Chagall a su representante más activo. Infatigable, Chagall pone en marcha estructuras de enseñanza, de museo, de escuela de arte, de taller revolucionario, necesarias para esta revolución del alma que trata de lograr para cada uno de sus compatriotas.
Llamará a Doboujinski, su antiguo maestro de la escuela Zvantseva, a Pen, a Ivan Pougny y a El Lissitzky.
Con motivo del primer aniversario de la revolución de octubre, hace “descender el arte a la calle” y transforma el decorado urbano de Vitebsk con un sentido de la puesta en escena que expresará más tarde en sus trabajos para teatro y, sobre todo, para ballet.
Por muy exaltante que resulte, este periodo estará marcado por el conflicto con Malévitch.
Pocos testimonios dan cuenta de este enfrentamiento. Chagall lo evoca, de manera elíptica, en “Mi vida”. Pero al examinar el recorrido estético de ambos pintores, el antagonismo resultaba inevitable.
Cuando los alumnos de la escuela de arte de Vitebsk invitan a Malévitch –Chagall precisa por cierto que fue una de sus iniciativas-, éste es un artista conocido que ha formulado ya lo esencial de su doctrina suprematista. A principios de año se organiza la X Exposición de Estado “Creación no objetiva y suprematista”, en la que Malévitch expone “Cuadrado blanco”.
Malévitch ataca violentamente a Chagall por sus principios docentes y la naturaleza de su arte, que califica, con desprecio, de naturalismo. El temperamento de Malévitch, excesivo y a veces violento, se opone al de Chagall.
¿Se ha dado asimismo en Malévitch esa desconfianza instintiva del polaco católico que fue en su origen, frente al judío eslavo? Chagall por su parte, rebelde frente a cualquier teorización del arte no entiende el compromiso estético de Malévitch. A finales de 1919 Chagall se ve forzado a abandonar Vitebsk, que ve la creación del grupo UNOVIS (afirmación de nuevas formas del arte) por parte de Malévitch.
La vanguardia despide entonces a Chagall en nombre de una concepción radical. La decepción se convierte en una profunda herida.
En 1922 se ve forzado al exilio, como si su destino en tanto que artista no pudiera construirse sino bajo la dolorosa experiencia de un destino humano apartado de su tierra. Desde entonces la vida de Chagall se encarna en un destino de pintor que vive la pintura como una creación siempre reempezada en la certidumbre de su ser.
Incluso el observador más atento, el más apasionado, se muestra a veces incapaz de distinguir al Chagall “de París” del Chagall “de Vitebsk”.
El artista no es contradictorio ni está “desdoblado”, sino que permanecía constantemente cambiante, mirando en sí mismo y a su alrededor, considerando el mundo que le rodeaba, las ideas de su época, los recuerdos del pasado.
Estaba dotado de un pensamiento poético absoluto que presuponía tal multiplicidad. En el fondo, Chagall se acerca a la sabia ingenuidad de la dramaturgia shakepeariana, en la que los héroes pasan con toda naturalidad de la prosa al verso.
En un mismo momento –cuando no es sobre la propia tela- crea por un lado un mundo metafórico de modo sublime y, por otro, cuadros amablemente cáusticos de la vida en Vitebsk, desconfiando por completo de los sistemas y los manifiestos y sin adherirse a ningún grupo, fuera cual fuese.
Chagall está dotado de una suerte de “inmunidad estilística”, se enriquece sin destruir un ápice su propia estructura. Se entusiasma, aprende con total ingenuidad, se deshace de la torpeza juvenil, pero sin perder su “punto de Arquímides”. A veces es como si mirase el mundo a través del prisma mágico de la escuela de París.
Es entonces cuando entabla un juego lleno de sutileza y seriedad con los descubrimientos que se dieron en el cambio de siglo. Entonces la mirada sapiencial del adolescente bíblico se considera, irónica y pensativa, en un espejo donde se unen con total naturalidad y sin ningún eclecticismo los logros pictóricos de Cézanne, la frágil espiritualización de Modigliani, los complejos ritmos de planos que recuerdan las experiencias de los primeros cubistas (“Autorretrato delante del caballete”, 1914). ¿Se trataba de un periodo de prueba hecho consciente por las lecciones de otros pintores para, aprehendiéndolos al tiempo que seguía siendo él mismo, conocerse?
No obstante, más allá de los análisis que, actualmente, aclaran las fuentes judeo-rusas del pintor y las filiaciones formales heredadas o tomadas en préstamo, pero siempre sublimadas, siempre queda una parte de misterio en el arte de Chagall. Este misterio se debe acaso a la naturaleza misma de este arte que extrae la vivencia del recuerdo. La pintura está viva en realidad y la vida puede ser pintura. El arte es para él tan real como un rostro humano o como el cielo visto desde la ventana y por ello las reminiscencias de la pintura de sus grandes predecesores no aparecen aquí como un eco, sino como una melodía autónoma que se integra de modo orgánico en el mundo de los objetos que representa. El arte de Chagall se inscribe en el flujo de la temporalidad, en el despliegue de un ensueño creador que impone a la conciencia el esfuerzo de su devenir. Chagall es uno de los primeros, en el arte de nuestro siglo, en aprehender y representar lo que él mismo convino en llamar “iconoesfera” como parte integrante de la naturaleza, tan perceptible para el artista como el mundo material y objetivo.
El pintor percibe la iconosfera real del tiempo y, sin rehuirla, su cuadro tiene la inmediatez del narrador capaz de cortar su palabra y de asustarse frente a su propio relato o de reírse de él.
No deja de ser significativo que la pintura de Chagall evoque a las plumas de críticos e historiadores los términos del lenguaje musical. Las figuras y los motivos son percibidos como objetos sonoros, los colores como ritmos y las líneas como melodías; la metáfora se ajusta íntimamente a la pintura porque atañe, como esta última, a la duración.
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Years of experience: 5. Registered at ProZ.com: Aug 2006.
Licenciado en Filologia Clasica y Linguistica Indoeuropea (Universidad Complutense de madrid).
DEA en literatura (Sorbonne, UCM)
Dramaturgo (dos obras publicadas)
Traduccion de libros de arte del frances (para el grupo Asspan).
Traduccion de libros de economia del ingles para las editoriales Siglo XXI y Marcial Pons.
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